TRAVAIL ET VIE 2/4

 

TRAVAILLER PAR DEVOIR

 est une notion qui prend encore plus un coup de vieux que celle de travailler par besoin.

Comme l’analyse François VATIN dans « Le travail activité productrice et ordre social » (1), la notion de travail n’est qu’un cocktail sadomasochiste qui mélange une notion de souffrance et la satisfaction d’avoir produit et d’être fier de son travail.

« Ainsi, sans doute, la notion de travail a, par son étymologie, une dimension sacrificielle qui plonge ses racines dans l’idéologie judéo-chrétienne. Selon le mythe biblique, le travail est en effet né de la faute d’Adam, qui lui valut d’être chassé de l’Eden primitif et condamné à « travailler à la sueur de son front ». Par la même occasion, Jehova condamna Eve à « enfanter dans la douleur » et on appelle aussi, l’action physiologique de la mise au monde, le « travail ». Mais, même dans cette représentation biblique, il faut noter l’ambivalence de la notion. Pour la femme qui accouche, comme pour l’homme (au sens générique) qui s’active pour obtenir sa subsistance, la peine est associée au fruit, à la production, à la satisfaction qui suivra l’effort. Le travail est peine, mais aussi, et indissociablement, activité productive. »

La question qui s’immisce dans une bonne partie des sujets de philo au bac ces dernières années, est « Le travail est-il un devoir ?». On passe de la notion d’obligation alimentaire que nous avons vue précédemment, à une notion beaucoup plus morale, voire moraliste. Je dois travailler pour assumer ma subsistance et j’ai le devoir de travailler pour contribuer à la société, régler ma dette avec elle.

C’est ainsi qu’apparaît le vrai débat actuel sur l’aide sociale qui resurgit régulièrement en période électorale. C’est tentant, et pas totalement dénué de sens, d’opposer le travailleur pauvre qui a du mal à subvenir à ses besoins, au chômeur qui multiplie les aides sans répondre à cette obligation de devoir travailler.

En 2023, dans la partie Flamande de la Belgique devait être instituée une obligation de travaux d’intérêt général pour les chômeurs de longue durée (plus de deux ans). Un chômeur de longue durée devrait prester des travaux d’intérêt général auprès d’une collectivité locale pour une durée maximale de 64 heures par mois. Cette mesure fait naturellement débat, et ne recueille ni l’appui des syndicats, ni celle de la communauté scientifique.

Pour certains, les travaux d’intérêt général sont d’abord une mesure de justice destinée à se substituer à l’incarcération pour les actes de petite délinquance. Daniel LAMAR, expert et conseiller en politique de l’emploi adopte dans son bloc note une formule provocatrice : « Doit on condamner les bénéficiaires du RSA à effectuer des travaux d’intérêt général ? » (2)

Sa vision s’oppose à une interprétation moralisatrice du travail et à une sacralisation du devoir, telle que résumée dans les propos de Georges-Louis BOUCHEZ, leader libéral Belge qui réagit dans l’Echo (3)

« Le gouvernement flamand a compris que l'activation des demandeurs d'emploi est indispensable pour rester équitable envers toutes les personnes qui travaillent. Mais surtout pour maintenir le développement économique et l'épanouissement humain 

(Le travail) "remet les gens dans le circuit de façon positive, nourrit le sentiment de citoyenneté. Ça les sort de chez eux, au lieu de laisser les gens en précarité sociale et isolés."

Plusieurs notions doivent être étudiées à partir de cette réaction :

  •  Le travail : un devoir social qui exige une contribution de tous → EQUITE
  •  Le travail : une contribution au développement économique → ECONOMIE
  •  Le travail : l'épanouissement humain → EPANOUISSEMENT

Cette interprétation va paraître, selon les opinions de chacun, courageuse ou rétrograde. Elle est au minimum dépassée et difficilement compréhensible par les jeunes générations actuelles.  Dans un article du Monde (4), Anne RODIER et Julie THOMAS ont à mon sens, la bonne formule : « Cet idéal d’un investissement ininterrompu et inconditionnel des salariés pour le compte de l’entreprise a vécu. Aussi connectés soient ils, ce n’est pas celui des moins de 35 ans.  Quand ils énoncent leurs priorités au travail, ils parlent d’autonomie, de quête de sens, de culte de l’instant présent, mais pas de devoir moral, ni de sacrifices. Ils ne veulent pas s’user au quotidien avec l’espoir de lendemains qui chantent en fin de carrière, comme le faisaient leurs aînés. »

Cette génération réclame un vrai droit à la vie, qui s’oppose à l’accomplissement d’un devoir, d’une obligation, au service de la société au sens large où de la société qui les emploie.

 Cette interprétation peut être source de conflits avec les aînés. Sous le prétexte de vilipender « ces jeunes qui ne respectent plus rien », n’y a-t-il pas au fond de nous même une pointe de jalousie ?  Pourquoi ne nous sommes pas dits plutôt que c’était possible, pourquoi avons-nous été assez stupides pour se jeter corps et âmes dans le travail, au nom du devoir ?

Cette opposition générationnelle trouve un écho amplifié dans le secteur des soins. Est-ce que ne pas se donner corps et âme dans son travail, se réserver des temps de respiration, c’est mettre en danger la sécurité de nos patients, où est-ce au contraire la développer en proposant des soignants apaisés qui ont d’autres horizons que leurs tensiomètres.

Je n’ai pas la réponse et je ne la donnerai pas mais la question se pose.

Cependant, il est quand même temps de conclure que travailler car on le doit, n’est plus un prétexte suffisant pour motiver les foules.

La réflexion avance. Suite à ma prochaine chronique ..
 

Jean-rené LEGENDRE

 

(1)     François VATIN « Le travail activité productive et ordre social » Presses Universitaires de Paris Ouest

(2)     https://toutpourlemploi.fr/2019/03/condamnation-tig-des-rsa/

(3)     Sophie LEROY – L’Echo 16 décembre 2021

(4)     Anne RODIER et Julie THOMAS- Le Monde 23 Janvier 2022 « Le rapport des jeunes au travail une révolution silencieuse »